
Face à l’urgence climatique et à la dégradation accélérée des écosystèmes, le droit pénal de l’environnement s’est considérablement renforcé ces dernières années. Les infractions environnementales font désormais l’objet de poursuites et de sanctions de plus en plus sévères, reflétant la prise de conscience collective de la nécessité de protéger notre patrimoine naturel. Cet arsenal juridique en constante évolution vise à dissuader et punir les comportements les plus graves portant atteinte à l’environnement, qu’il s’agisse de pollution, de trafic d’espèces protégées ou encore de gestion illégale de déchets dangereux.
L’évolution du cadre légal des infractions environnementales
Le droit pénal de l’environnement s’est progressivement structuré en France depuis les années 1970, avec l’émergence d’une prise de conscience écologique. La loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature a posé les premiers jalons en instaurant le principe selon lequel « la protection des espaces naturels et des paysages, la préservation des espèces animales et végétales (…) sont d’intérêt général ».
Depuis lors, le Code de l’environnement n’a cessé de s’étoffer, intégrant de nouvelles infractions et durcissant les sanctions. La loi du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité a notamment renforcé les pouvoirs des agents chargés de constater les infractions environnementales. Plus récemment, la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique a créé de nouvelles incriminations comme le délit d’écocide.
Au niveau européen, la directive 2008/99/CE relative à la protection de l’environnement par le droit pénal a imposé aux États membres d’introduire dans leur législation des sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives pour les infractions environnementales les plus graves. Cette directive est en cours de révision pour renforcer encore davantage l’arsenal répressif.
L’évolution du cadre légal se caractérise par :
- Une extension du champ des infractions environnementales
- Un durcissement des sanctions encourues
- Un renforcement des moyens d’investigation et de poursuite
- Une responsabilisation accrue des personnes morales
Cette dynamique législative témoigne de la volonté des pouvoirs publics de faire de la protection de l’environnement une priorité pénale, en réponse aux attentes croissantes de la société civile.
Les principales infractions environnementales et leurs sanctions
Le Code de l’environnement réprime une grande diversité d’atteintes à l’environnement, dont les principales catégories sont :
Les pollutions
Les rejets polluants dans l’eau, l’air ou les sols constituent des infractions majeures. L’article L216-6 du Code de l’environnement punit ainsi de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende le fait de jeter, déverser ou laisser s’écouler dans les eaux superficielles ou souterraines des substances nuisibles à la santé, à la faune ou à la flore. Les sanctions peuvent être aggravées en cas de pollution massive ou irréversible.
Les atteintes à la biodiversité
La destruction d’espèces protégées, le braconnage ou encore le trafic d’espèces menacées sont sévèrement réprimés. L’article L415-3 prévoit jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende pour la destruction d’espèces protégées. Le trafic d’espèces menacées relève quant à lui de la criminalité organisée et peut être puni de sept ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende.
La gestion illégale des déchets
L’abandon ou le dépôt illégal de déchets dans la nature est puni de deux ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende (article L541-46). Les peines sont alourdies en cas de trafic organisé de déchets dangereux, avec jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende.
Les atteintes aux milieux naturels
La destruction de zones humides, l’assèchement de cours d’eau ou encore les constructions illégales en zone protégée font l’objet de sanctions spécifiques. Par exemple, l’article L362-1 punit de 1500 euros d’amende la circulation de véhicules à moteur dans les espaces naturels en dehors des voies ouvertes à la circulation publique.
Les infractions liées aux installations classées
L’exploitation d’une installation classée sans autorisation ou en violation des prescriptions applicables est punie d’un an d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende (article L173-1). Les peines peuvent atteindre trois ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende en cas de récidive ou de mise en danger de la santé ou de l’environnement.
Il convient de souligner que ces sanctions pénales peuvent être assorties de peines complémentaires comme l’interdiction d’exercer l’activité à l’origine de l’infraction, la confiscation des biens ayant servi à commettre l’infraction ou encore l’obligation de remise en état des lieux.
La mise en œuvre des poursuites et le rôle des acteurs judiciaires
La répression des infractions environnementales mobilise un large éventail d’acteurs judiciaires et administratifs, dont les compétences et les moyens d’action ont été renforcés ces dernières années.
Les autorités de constatation
De nombreux agents sont habilités à constater les infractions environnementales :
- Les officiers et agents de police judiciaire
- Les inspecteurs de l’environnement de l’Office français de la biodiversité
- Les agents des parcs nationaux et des réserves naturelles
- Les gardes champêtres et les agents des collectivités territoriales
Ces agents disposent de pouvoirs d’enquête étendus : droit de visite des locaux, saisie des objets liés à l’infraction, prélèvements pour analyse, etc. La loi du 24 juillet 2019 a notamment renforcé les prérogatives des inspecteurs de l’environnement en leur permettant de réaliser des opérations de surveillance et d’infiltration.
Le ministère public
Le procureur de la République joue un rôle central dans la mise en œuvre des poursuites. Il peut décider d’engager des poursuites pénales, de proposer une alternative aux poursuites (composition pénale, transaction pénale) ou de classer sans suite. De plus en plus de parquets se dotent de magistrats spécialisés dans les contentieux environnementaux pour traiter efficacement ces dossiers complexes.
Les juridictions spécialisées
La loi du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen a créé des juridictions spécialisées en matière d’environnement. Un pôle régional spécialisé a ainsi été institué au sein de chaque cour d’appel pour traiter les affaires complexes ou de grande ampleur. Cette spécialisation vise à améliorer le traitement judiciaire des infractions environnementales en mobilisant des magistrats formés aux enjeux écologiques.
Les associations de protection de l’environnement
Les associations agréées jouent un rôle majeur dans la détection et la poursuite des infractions environnementales. Elles disposent d’un droit d’action en justice et peuvent se constituer partie civile pour obtenir réparation du préjudice écologique. Leur expertise technique est souvent précieuse pour étayer les dossiers d’instruction.
La mise en œuvre effective des poursuites se heurte toutefois à plusieurs obstacles :
- La complexité technique de certaines infractions, nécessitant des expertises poussées
- La difficulté à établir le lien de causalité entre l’acte incriminé et le dommage environnemental
- Le manque de moyens humains et matériels des services d’enquête spécialisés
- La longueur des procédures, peu adaptée à l’urgence de certaines situations
Pour surmonter ces difficultés, des efforts sont entrepris pour renforcer la formation des magistrats et enquêteurs, développer la coopération entre services et améliorer les outils d’investigation scientifique.
Les enjeux de la responsabilité pénale des personnes morales
La responsabilité pénale des personnes morales revêt une importance particulière en matière d’infractions environnementales, dans la mesure où de nombreuses atteintes à l’environnement sont commises dans le cadre d’activités économiques.
Le principe de la responsabilité pénale des personnes morales
Depuis la réforme du Code pénal de 1994, les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables des infractions commises pour leur compte par leurs organes ou représentants. Cette responsabilité n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits.
En matière environnementale, la responsabilité des personnes morales est particulièrement pertinente car elle permet de sanctionner efficacement les entreprises à l’origine de pollutions ou d’atteintes graves à l’environnement.
Les sanctions applicables aux personnes morales
Les personnes morales encourent des peines spécifiques, dont les principales sont :
- L’amende, dont le montant peut atteindre le quintuple de celui prévu pour les personnes physiques
- La dissolution de la personne morale
- L’interdiction d’exercer certaines activités
- Le placement sous surveillance judiciaire
- La fermeture d’établissements
- L’exclusion des marchés publics
Ces sanctions visent à la fois à punir l’entreprise fautive et à prévenir la récidive en agissant sur son organisation et son fonctionnement.
Les difficultés de mise en œuvre
La mise en jeu de la responsabilité pénale des personnes morales soulève plusieurs difficultés :
– L’identification de l’organe ou du représentant ayant commis l’infraction pour le compte de la personne morale peut s’avérer complexe dans les grandes organisations.
– La délégation de pouvoirs au sein de l’entreprise peut conduire à un transfert de la responsabilité pénale vers les cadres intermédiaires, au détriment de la responsabilisation des dirigeants.
– Les montages juridiques complexes (filialisation, sous-traitance) peuvent diluer les responsabilités et compliquer l’établissement des faits.
– L’internationalisation des activités économiques pose la question de l’application extraterritoriale du droit pénal de l’environnement.
Pour surmonter ces obstacles, la jurisprudence tend à assouplir les conditions d’engagement de la responsabilité des personnes morales. Par exemple, la Cour de cassation a admis que la responsabilité pénale d’une société mère pouvait être engagée pour des faits commis par sa filiale, dès lors qu’elle exerçait un contrôle effectif sur celle-ci.
Vers une responsabilisation accrue des entreprises
Le renforcement de la responsabilité pénale des personnes morales s’inscrit dans un mouvement plus large de responsabilisation des entreprises en matière environnementale. La loi sur le devoir de vigilance de 2017 impose ainsi aux grandes entreprises d’établir et de mettre en œuvre un plan de vigilance pour prévenir les atteintes graves à l’environnement résultant de leurs activités.
Cette tendance devrait se poursuivre avec le projet de directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, qui prévoit d’étendre ces obligations à un plus grand nombre d’entreprises et de renforcer les mécanismes de contrôle et de sanction.
Perspectives d’évolution : vers un renforcement de la répression ?
Le droit pénal de l’environnement est en constante évolution, sous l’effet conjugué des avancées scientifiques, des pressions de la société civile et des engagements internationaux de la France en matière de lutte contre le changement climatique.
Le débat sur la création de nouveaux délits
Plusieurs propositions visent à créer de nouvelles incriminations pour mieux appréhender les atteintes les plus graves à l’environnement :
– Le délit d’écocide, introduit par la loi Climat et Résilience de 2021, punit de jusqu’à 10 ans d’emprisonnement et 4,5 millions d’euros d’amende les atteintes les plus graves à l’environnement commises de manière intentionnelle. Certains militent pour une définition plus large de ce délit, voire pour en faire un crime contre l’humanité.
– Le délit de mise en danger de l’environnement, sur le modèle du délit de mise en danger de la vie d’autrui, viserait à sanctionner les comportements créant un risque grave pour l’environnement, même en l’absence de dommage avéré.
– L’incrimination du crime climatique est proposée par certains juristes pour sanctionner les actes contribuant sciemment au dérèglement climatique.
Le renforcement des moyens d’enquête et de poursuite
L’efficacité de la répression pénale passe par un renforcement des moyens d’investigation :
- Développement des techniques d’enquête scientifique (analyses ADN environnemental, imagerie satellitaire, etc.)
- Création d’unités d’enquête spécialisées au sein des services de police et de gendarmerie
- Renforcement de la coopération internationale pour lutter contre la criminalité environnementale transfrontalière
La spécialisation accrue des magistrats et la création de juridictions dédiées aux contentieux environnementaux devraient également contribuer à améliorer le traitement judiciaire de ces infractions.
Vers une meilleure articulation entre sanctions pénales et administratives
Le droit de l’environnement se caractérise par la coexistence de sanctions pénales et administratives. Une réflexion est en cours pour améliorer l’articulation entre ces deux régimes de sanction :
– Clarification des critères de choix entre la voie pénale et la voie administrative
– Renforcement des sanctions administratives pour traiter plus efficacement les infractions de faible gravité
– Développement des alternatives aux poursuites (transaction pénale, composition pénale) pour désengorger les tribunaux
L’enjeu de l’effectivité des sanctions
Au-delà du durcissement des peines, l’enjeu majeur reste celui de l’effectivité des sanctions prononcées. Plusieurs pistes sont explorées :
- Développement des peines de travail d’intérêt général à visée environnementale
- Renforcement du suivi post-sentenciel pour s’assurer de l’exécution des mesures de remise en état
- Création d’un fonds dédié à la réparation des dommages environnementaux, alimenté par les amendes pénales
En définitive, l’évolution du droit pénal de l’environnement s’oriente vers une répression plus sévère et mieux ciblée des atteintes les plus graves à l’environnement. Ce renforcement de l’arsenal répressif doit toutefois s’accompagner d’une réflexion sur la prévention des infractions et la sensibilisation des acteurs économiques aux enjeux environnementaux.
La protection pénale de l’environnement s’affirme ainsi comme un outil indispensable, mais qui doit s’inscrire dans une approche globale intégrant incitations économiques, normes techniques et engagement citoyen pour relever le défi de la transition écologique.